Les sentiers de la guerre économique. Tome 1. L‘école des nouveaux « espions »
Nicolas Moinet, Editions VA Press, 2018, 192 pages
Il arrive finalement à l’intelligence économique ce qui est arrivé à beaucoup d’autres domaines professionnels : elle s’est inscrite dans le paysage de notre pensée stratégique depuis bientôt vingt-cinq ans, depuis que le rapport Martre a signé son acte de naissance officiel, avec une définition désormais de référence, des analyses qui ont frappé les esprits par le caractère éminemment ancré des systèmes nationaux d’intelligence économique et des propositions pour que la France s’approprie une démarche stratégique qui lui donne les moyens de lutter à armes égales avec des pays et des entreprises pratiquant, sous couvert de concurrence, ce qu’il faut bien appeler une guerre économique.
Vingt-cinq ans que des hommes œuvrent à hisser les entreprises au niveau de maîtrise de l’information, du renseignement, de la protection des données, des stratégies d’influence qui leur permettent de survivre et se développer. C’est une durée suffisamment longue pour que les acteurs du secteur puissent tirer des leçons, faire mémoire des actions engagées sur tous les terrains de l’affrontement économique.
C’est précisément à ce genre d’exercice que se livre ici Nicolas Moinet, qui fait un choix d’universitaire libre de sa parole. Nicolas Moinet assume le « je » et raconte à la première personne du singulier l’histoire de l’intelligence économique « à la française » non plus comme il l’a fait dans un précédent ouvrage (Petite histoire de … ) mais en tant que témoin privilégié et acteur engagé. Un exercice de style que l’on rencontre plus souvent chez les décideurs américains que chez les universitaires français…
L’ouvrage compte vingt chapitres, vingt étapes plutôt, d’un parcours qui nous mène de Paris en région, de la France au Japon, de petites histoires à de grandes questions. Des chapitres relativement courts, toujours faciles à lire et édifiants. Édifiants parce qu’on y rencontre toutes sortes d’acteurs, certains bien connus et d’autres moins, qui, chacun, ont apporté leur pierre à l’édifice qui reste à consolider et à élever. D’ailleurs, l’auteur ne cache pas l’admiration qu’il porte à certains d’entre eux. Édifiants parce qu’ils dissèquent des cas de stupidité économique, administrative, politique que l’on rencontre trop souvent.
Avec un art du récit qui fait mouche, Nicolas Moinet donne à comprendre de l’intérieur nombre de moments qu’il a vécus alors que la plupart des lecteurs n’en ont généralement connu que la face visible.
Comme souvent chez l’auteur, la pensée est incisive et ne cherche pas le consensus. Les rencontres, les situations, les engagements dans l’action et des analyses fines ont forgé chez l’universitaire des convictions, comme celle que la compréhension des rapports économiques ne peut décidément pas d’abstraire des grilles de lecture de la guerre économique. Rien d’étonnant, quand on lit le long compagnonnage intellectuel qui s’est tissé avec Christian Harbulot.
L’ouvrage intéressera les étudiants à la recherche d’un récit qui mêle, d’une manière à la fois vivante et analytique, la petite et la grande histoire de l’intelligence économique française. Il attirera l’attention des acteurs de l’intelligence économique qui ont croisé l’auteur un jour ou l’autre – et ils sont nombreux – et sont curieux d’en savoir davantage sur cet universitaire qui ne conçoit pas la recherche sans l’action, ni l’action sans la prise de recul nécessaire à son analyse.
Un ouvrage utile et inspirant.