R2ie 2018/1 (Vol. 10) : L’effet levier de l’intelligence économique pour et dans les organisations
En mécanique et dans le but de modifier la force à exercer, un levier est généralement constitué d’une barre rigide, mobile autour d’un axe de rotation appelé pivot. Ainsi pour soulever un objet donné, agir à distance et de manière démultipliée, il est possible d’appliquer une force réduite pourvu qu’on utilise un levier suffisamment grand. Mais, en contrepartie, la hauteur de l’objet soulevé est limitée. Dans l’espace organisationnel, la métaphore du levier est fréquemment utilisée pour désigner les modalités d’action que les managers mobilisent pour parvenir à leurs fins. Simons (1994) explique ainsi que les systèmes de valeurs, les règles, l’interaction et les outils de gestion sont autant de leviers de contrôle que les dirigeants mettent en œuvre selon qu’ils veulent maintenir le cap stratégique ou en changer.
De manière plus générique, le terme de « levier » est utilisé pour décrire le point d’appui d’une politique d’entreprise. Cette métaphore traduit la recherche d’efficience dans la pratique du management : un effort moindre pour des potentialités plus grandes et sans commune mesure. On peut aussi entendre par l’usage du levier une distanciation au point d’appui (soit de la réalité quotidienne) qui garantit une réflexivité dans la prise de décision.
Si le levier est entendu dans son acceptation la plus positive, son usage n’en est pas moins risqué. En physique, la distance au point d’appui accroît la capacité à soulever des charges lourdes, mais fragilise le bras de levier. Le point d’appui, lui aussi, doit être suffisamment solide et stable. Miser sur un effet levier nécessite donc une sécurisation a priori du dispositif. Il peut s’agir de s’assurer que les systèmes de valeur sont partagés, que les réseaux de communication sont stables, que l’on prend une distance critique au bon moment.
En mai 2017, lors d’un Congrès qui s’est déroulé à Poitiers, le Comité Scientifique de l’IFBAE (Institut Franco Brésilien d’Administration des Entreprises) a invité des chercheurs français et brésiliens à soumettre des communications qui font des leviers un objet de recherche. Le but poursuivi était de mieux cerner ce que l’on appelle un levier en management, les potentialités qui en découlent, et leurs limites voire les risques auxquelles l’usage des leviers expose les organisations.
Si l’effet de levier est classiquement utilisé dans la recherche en finance ou en analyse stratégique, il en est autrement en intelligence économique. Même si la littérature fait souvent état du rôle de l’information comme levier stratégique au même titre que les trois leviers classiques (humain, financier et technologique), peu de recherche étudient concrètement les modalités de mise en œuvre et d’opérationnalité effective de l’intelligence économique.
Nous avons sélectionné dans ce numéro de la R2IE les quatre meilleures communications relatives aux champs de l’Intelligence économique qui ont été présentées lors de ce congrès et avons demandé une version étendue sous la forme d’un article évalué par la suite en double aveugle. Nous proposons ainsi un véritable regard croisé international sur ce qui fait de l’intelligence économique un levier stratégique.
Mouna El Haddani et Camille Baulant introduisent le concept de compétitivité informationnelle et interrogent le rôle de l’information d’origine terrain dans l’amélioration de celle-ci de sorte à ainsi produire un effet de levier pour la compétitivité des entreprises.
Raquel Janissek-muniz, Salima Kriaa-Mdhaffer, Humbert Lesca et Natàlia Borges discutent dans leur article de l’importance de l’usage d’un dispositif de Veille Anticipative Stratégique permettant d’accroître les synergies et la collaboration entre les équipes dans des environnements innovants et multinationaux.
Philippe Protin, Roberto Decourt et Paulo Barbosa-Alvès présentent le rôle du Business Model comme levier de communication financière des entreprises dans un contexte brésilien où l’absence d’obligation légale à communiquer peut en faire un potentiel outil d’influence.
Christian Marcon et Nicolas Moinet concluent ce dossier spécial en analysant l’effet de levier réticulaire comme concept opératoire en prenant appui sur une expérimentation conduite dans le contexte de l’impulsion d’une démarche d’intelligence économique au sein d’un réseau d’acteurs de la culture en région Nouvelle Aquitaine.
Ce dossier est complété d’un Varia de deux articles.
Le premier, proposé par Soufiane Kherrazi, doctorant au LAREQUOI, propose une intéressante analyse quantitative et qualitative de la recherche marocaine en intelligence économique. Le tableau brossé par cet article encourage la R2IE à envisager de dédier l’un de ses futurs numéros à l’intelligence économique marocaine et aux chercheurs qui l’analysent.
Le second article, écrit par Henri Dou que les chercheurs et professionnels de l’intelligence économique connaissent bien pour ses nombreux travaux scientifiques et de terrain, opère un rapprochement conceptuel entre les notions de métabolisme de l’information, d’individuation et d’épigénétique en vue d’un questionnement sur la pratique informationnelle dans un contexte d’intelligence économique.
Enfin, pour clore ce numéro, nous proposons une recension de l’ouvrage Les sentiers de la guerre économique qu’a fait paraître Nicolas Moinet en ce printemps 2018.