Appel à communication : Le jeu au prisme de l’intelligence économique
Coordinateurs : Julian Alvarez, Lucile Desmoulins et Stéphane Goria
L’intelligence économique (IE) est à la fois un secteur d’activités et un ensemble de techniques, de méthodes et d’actions informationnelles utiles aux différents acteurs économiques. Dans une vision délibérément extensive, l’IE peut impliquer des pratiques de veille, d’influence, de lobbying, de sécurité informationnelle, d’intelligence territoriale, de gestion des connaissances, de prospective, de guerre économique ou de diplomatie d’entreprise (Marcon, 2016 ; Cansell et Desmoulins 2018 ; Amairia, 2022). L’interaction entre l’IE et le jeu est encore peu explorée en termes de recherche, malgré l’importance croissante de ce secteur (Marcon, 2016 ; Knauf, 2022 ; Chaudiron et al, 2023 ; Desmoulins et al., 2024). Pourtant, le secteur du jeu est très dynamique et concurrentiel. De fait, l’IE y joue un rôle central pour préserver ou améliorer la compétitivité des organisations concernées. En parallèle, le jeu sérieux (ou non) peut être à la fois un prétexte, un lieu ou un moyen pour mener des activités relevant de l’IE ou pour mieux s’y former.
Ainsi, le secteur des jeux vidéo représente un marché de plusieurs milliards d’euros (Massé et Paris, 2022) aux tensions exacerbées (Richaud, 2024) impliquant des restructurations, des rachats d’entreprises, des licenciements et des faillites en cas de crise, où les entreprises majeures de ce secteur semblent acculées à répéter les succès commerciaux (Leroy, 2022). En parallèle, l’introduction de l’IAG (Intelligence Artificielle Générative) appelle à revoir les chaînes de valeur (Boily, 2024), encourageant de nombreux acteurs à pratiquer l’IE pour s’adapter au mieux à leur environnement. De même, ce secteur incarne aussi des enjeux autour du soft power vidéoludique comme peut l’illustrer le très fort attrait autour de la marque employeur Ubisoft en France ou la diffusion de titres comme Black Myth: Wukong (Game Science) associant des stratégies de valorisation culturelles, économiques et politiques…
L’utilisation de jeux dans des contextes utilitaires remonte à l’Antiquité. Aristote (cf. Les Politiques) évoquait déjà l’usage des jeux à des fins éducatives. De même, les jeux du cirque romain servaient à promouvoir le pouvoir et à influencer l’opinion publique (Bougard, 2012). L’histoire montre que le jeu a été utilisé pour réseauter, socialiser ou influencer, des objectifs que l’on peut relier aux pratiques d’IE contemporaines (cf. vie de l’empereur Vitellius dans Suétone, La vie des douze césars). En complément, depuis la fin du XVIIIe siècle, le jeu a été aussi envisagé comme un outil de simulation des conflits militaires. Le kriegsspiel prussien, par exemple, est devenu, un outil standard dans les écoles de guerre dès 1824 (Bourguilleau, 2022). Ces simulations, sous le nom de wargames, servent à enseigner, mais aussi à tester des hypothèses stratégiques, reflétant des aspects tant opérationnels que diplomatiques. Aujourd’hui, ils sont adaptés pour le compte des entreprises afin d’explorer les dynamiques concurrentielles sous le nom de « business wargames » ou de gestion d’attaques informatique en tant que « cyber wargames » (Goria, 2025). Plus récemment (à partir des années 1980-1990), d’autres « jeux d’entreprises » sont apparus, fondés sur l’emploi de jouets tels les briques Lego par exemple, dans les environnements professionnels pour favoriser l’innovation et la résolution de problèmes (Bourdeau, 2022).
La fin des années 2000 voit le jeu sérieux (serious game) s’affirmer dans différents secteurs comme l’éducation (Romero & Sanchez, 2020 ; Bogost, 2007) et la santé (Blanié, 2022). Il s’agit d’une redécouverte des travaux de Clark Abt (1970) qui ont été notamment redynamisé par le succès d’America’s Army, un jeu vidéo sérieux commandité par l’armée US en 2002, pour faire office d’outil de recrutement (Alvarez et al., 2012). De fait, le développement de l’informatique a aussi permis l’émergence de nouveaux types de jeux.
De plus en plus sophistiqués, les jeux sérieux actuels permettent un apprentissage expérientiel fondé sur une mise en pratique passant par le jeu (Lépinard, 2023). Ils simulent des situations complexes de prise de décision et de gestion de crise, en prenant en compte des aspects éthiques, légaux et déontologiques (Desmoulins, 2017). Ces jeux contribuent à développer des compétences en communication, loyauté et négociation, essentielles dans le domaine de l’IE (Duke & Geurts, 2004). Cependant, leur capacité à traiter des dilemmes moraux complexes reste débattue (Amadieu & Tricot, 2020). Dans le domaine des jeux de divertissement, des titres comme Ingress ou Pokemon Go ont proposé des approches originales pour explorer les relations entre le jeu et le territoire (Ter Minassian, 2020). De plus, les jeux vidéo contemporains, avec des objets numériques monétisables, repensent les relations entre le jeu et l’économie (Asperge et al., 2024). De manière plus élargie, le phénomène eSport, mobilise également des pratiques d’IE pour assurer leur succès, tant sur le plan de la sécurité que sur celui de la réputation (Latty, 2024 ; Le Saux, 2024).
L’objectif de ce numéro spécial de la Revue Internationale d’Intelligence Economique est de proposer une vision actualisée et étendue des approches mobilisant le jeu à des fins utilitaires relevant de l’intelligence stratégique, économique ou territoriale, de l’influence et de la protection de l’information. Sans que cette liste ne soit exhaustive, l’équipe éditoriale espère recevoir des propositions d’articles et des articles dans lesquels il pourra être question :
– de formation par le jeu à l’intelligence économique, à ses outils, méthodes, techniques et enjeux, ainsi qu’aux jeux comme des espaces d’observation et d’expérimentation des processus de décision, d’influence et d’information ;
– de jeux utilisés pour collecter des données et les questions juridiques, déontologiques et éthiques que cela soulève ;
– des apports et limites des wargames et autres jeux de simulation pour sensibiliser, former, inciter à une réflexion stratégique et prospective ou entraîner à la prise de décision en situation complexe ;
– du jeu comme outil d’influence, de persuasion et/ou de gouvernance ;
– des mega-events liés au jeu, par exemple l’e-sport comme outils de promotion ou de soft power ;
– de la ludification d’espaces territoriaux afin d’améliorer leur gestion ou leur attractivité ;
– d’évolution des chaînes de valeurs et des métiers associés aux diverses formes de jeu ;
– d’exposer, recenser, analyser des contournements de règles et de règlementations en lien avec les jeux, les joueurs, les éditeurs… (normes PEGI, adaptations culturelles, usages paradoxaux) ;
– de la durabilité du jeu, tant sur les dimensions de « rejouabilité » que de sensibilisation aux enjeux environnementaux (prévention, sensibilisation, partage de bonnes pratiques, formation à la gestion de crise) ;
– des approches relevant de la veille, de l’influence et de la sécurité de l’information mises en œuvre dans le secteur du jeu en tant que secteur d’activités très dynamique et concurrentiel.
Les articles proposés doivent être rédigés en langue française ou anglaise et contribuer de manière significative et originale aux domaines mentionnés ci-dessus.
Calendrier
- Date limite de soumission des résumés : 15 février ;
- Notification d’acceptation : 16 mars 2025 ;
- Soumission des articles complets pour évaluation : 1er septembre 2025 ;
- Retour des expertises : 15 octobre 2025
- Retour des articles révisés : 15 novembre
- Date de parution envisagée : fin 2025
Consignes pour les résumés
Les résumés seront rédigés en français ou en anglais sous l’un des formats suivants : doc, docx, odt, rtf, pdf. Ils feront entre 3.000 et 5.000 signes espaces compris, mais bibliographie non comprise. Les résumés mettront en évidence la ou les questions de recherche, les hypothèses, la méthodologie employée, les éventuels retours d’expérience ou conclusions, ainsi qu’un argumentaire relatif à la pertinence de la proposition eu égard à l’appel de la revue et/ou les grandes lignes de résultats, que l’enquête soit déjà réalisée ou en cours.
Les résumés doivent impérativement inclure les éléments suivants :
Titre
Auteur(s) : NOM 1, Prénom, fonction (ex : MCF Univ X Sciences de Y, Laboratoire L ; Chargé.e de mission prospective, entreprise Y), adresse courriel/email ; NOM 2, Prénom, fonction, adresse courriel/email ; NOM 3, Prénom, fonction, adresse courriel/email.
Mots-clés : 6 maximum
Résumé et bibliographie
Les questions supplémentaires et les résumés sont à envoyer conjointement à chacune des adresses suivantes : julian.alvarez@univ-lille.fr, lucile.desmoulins@univ-eiffel.fr, stephane.goria@univ-lorraine.fr
L’entête de l’email doit faire figurer : R2ie réponse à l’appel : Le jeu au prisme de l’IE
Bibliographie
Abt, C. (1970). Serious game. Viking press.
Alvarez, J., Djaouti, D., & Rampnoux, O. (2012). Introduction au Serious Game. Questions Théoriques, Quercy, 2012.
Amadieu, F., & Tricot, A. (2020). On apprend mieux en jouant grâce au numérique. In F. Amadieu & A. Tricot (dir.) Apprendre avec le numérique, Retz, 77-88. https://www.cairn.info/apprendre-avec-le-numerique–9782725638768-p-77.htm
Amairia, A. (2022). Quand l’intelligence économique devient territoriale : principes et agenda de recherche. Revue internationale d’intelligence économique, 14(1), 85-109. https://stm.cairn.info/revue-internationale-d-intelligence-economique-2022-1-page-85?lang=fr
Asperge, X., Laborderie, G., & Tashjian, N. (2024). Les jeux à objets numériques monétisables : marché émergent, innovation et régulation. Annales des Mines-Enjeux numériques, 26(2), 90-95. https://stm-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/revue-enjeux-numeriques-2024-2-page-90?lang=fr
Aristote (ed. 2015). Les Politiques. Flammarion, Paris.
Blanié, A. (2022). Intérêt des jeux sérieux pour la formation des professionnels de santé au raisonnement clinique et à la prise de décision. Pédagogie Médicale, 23(2), 135-140. https://doi.org/10.1051/pmed/2022009
Boily, A. (26 juillet 2024). L’IA vole déjà des emplois dans l’industrie des jeux vidéo. Le journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2024/07/26/lia-vole-deja-des-emplois-dans-lindustrie-des-jeux-video
Bourdeau, S. (2022). Jouer (sérieusement) avec des blocs LEGO®!. Gestion, 47(2), 84-88.
Bogost, I. (2007). Persuasive games: The expressive power of videogames, Massachusetts, The MIT Press.
Bougard, F. (2012). Des jeux du cirque aux tournois : que reste-t-il de la compétition antique au haut Moyen Âge. In F. Bougard, R. Le Jan & T. Liehnard (dir.) Agon : la compétition, Ve-XIIe siècle, Turnhout, Brepols, 5-41.
Bourguilleau, A. (2022). Modéliser le réel. La naissance d’un jeu de guerre. Inflexions, 50, 99-106. https://doi.org/10.3917/infle.050.0099
Cansell, P., & Desmoulins, L. (2018). Régimes de vérité et de sincérité des livrables des prestataires de services en intelligence économique. In L. Balicco, E. Broudoux, Chartron, V. Clavier, & I. Paillart (dir.) L’éthique en contexte info-communicationnel numérique, De Boeck Supérieur, 51-69. https://doi.org/10.3917/dbu.balic.2018.01.0051
Chaudiron, S., Goria, S., & Knauf, A. (2023). Une cartographie des recherches sur la « veille » comme objet scientifique. Le cas de la France sur la période 2000-2022. Etudes de communication, 60(1), 9-35. https://shs.cairn.info/revue-etudes-de-communication-2023-1-page-9?lang=fr
Desmoulins, L. (2017). Pédagogie et dilemmes de l’enseignement de l’éthique du lobbying. Communication & professionnalisation, 5, 122-144. https://doi.org/10.14428/rcompro.vi5.913
Desmoulins, L., Zetlaoui, T., Debray, S. Challah, R., Serghini, Z. (Apr 2024). Conception polyphonique d’un jeu sérieux multivalent sur la régulation, la déontologie et l’éthique de l’influence, l’XP#CharlieDilemme. Diversité, Réussite[s] dans l’Enseignement Supérieur (2024), Nantes Université, France. https://hal.science/hal-04553957/document
Duke, R. D., & Geurts, J. L. A. (2004). Policy games for strategic management: Pathways into the unknown, Dutch University Press.
Goria, S. (2025). Le wargaming: pratique de jeux sérieux de guerre, simulation et opportunités des technologies numériques. Technologie et innovation. https://www.openscience.fr/Le-wargaming-pratique-de-jeux-serieux-de-guerre-simulation-et-opportunites-des
Knauf, A. (2022). Une mise en perspective bibliométrique de l’intelligence économique reposant sur sa revue de référence : la R2IE. Revue française des sciences de l’information et de la communication, (24). https://doi.org/10.4000/rfsic.12300
Latty, F. (2024). Les Jeux olympiques à l’épreuve du droit (et inversement), Pouvoirs. Revue française d’études constitutionnelles et politiques, 189, 25-36. https://doi.org/10.3917/pouv.189.0025
Le Saux, N. (2024). Eviter le chaos : le renseignement privé, entre solution et controverse. Revue Lexsociété. https://hal.science/hal-04548474v1/file/Nicolas%20LE%20SAUX.pdf
Lépinard, P. (2023). L’apprentissage expérientiel par le jeu pour l’acquisition des connaissances théoriques managériales. Recherche en Sciences de Gestion, (5), 489-516. https://doi.org/10.3917/resg.158.0489
Leroy, F. (2022). Vie et mort de l’éditeur THQ. Entreprises et histoire, (4), 81-100. https://doi.org/10.54695/eh.109.0081
Marcon C., La recherche française en intelligence économique. In N. Moinet & A. Guilhon (dir.), Intelligence économique. S’informer, se protéger, influencer, Editions Pearson, 322-329.
Massé, D., & Paris, T. (2022). Jeux vidéo : petite histoire de la structuration d’une grande industrie. Entreprises et histoire, (4), 7-17. https://doi.org/10.54695/eh.109.0007
Richaud, N (27 mai 2024). 10.000 licenciements dans le secteur depuis le début de l’année. Les Echos. https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/jeux-video-plus-de-10000-licenciements-dans-le-secteur-depuis-le-debut-de-lannee-2097175
Romero, M., & Sanchez, E. (2020). Apprendre en jouant, Retz.
Suétone (ed. 2008). Vies des douze Césars. Flammarion, Paris.
Ter Minassian, H. (2020). « C’est trop loin. C’est trop grand ». Les jeux vidéo facilitent-ils l’appropriation de l’espace urbain ?. In M. Prévot, E. Monin & N. Douay (dir.) L’urbanisme, l’architecture et le jeu, Presses universitaires du Septentrion, 163-175.